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The Sequel to "I Hunt Killers"

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By Barry Lyga

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The second book in this thrilling, terrifying series by New York Times bestselling author Barry Lyga is perfect for fans of Dexter.

Billy grinned. “Oh, New York,” he whispered. “We’re gonna have so much fun.”

I Hunt Killers introduced the world to Jazz, the son of history’s most infamous serial killer, Billy Dent.

In an effort to prove murder didn’t run in the family, Jazz teamed with the police in the small town of Lobo’s Nod to solve a deadly case. And now, when a determined New York City detective comes knocking on Jazz’s door asking for help, he can’t say no. The Hat-Dog Killer has the Big Apple–and its police force–running scared. So Jazz and his girlfriend, Connie, hop on a plane to the big city and get swept up in a killer’s murderous game.

Both the stakes and the body count are higher in this suspenseful and unstoppable sequel from acclaimed author Barry Lyga.

Excerpt




Pour Kathy. Enfin.




Première partie

3 joueurs. 2 camps.




1.

Des cris, mais pas de larmes.

Voilà le souvenir qu'il garderait de celle-ci, songea-t-il. Il ne se rappellerait pas la couleur de ses cheveux ou de ses yeux. Il ne se souviendrait ni du dessin de ses lèvres, ni de la courbe de ses hanches. Non, de rien de tout cela. Pas même de son nom.

Elle avait crié et imploré ce ciel indifférent piqué d'étoiles. Elles criaient toutes, car n'importe qui aurait crié. Mais elle, elle n'avait pas pleuré.

Non que les pleurs y auraient changé quelque chose : il l'aurait tuée de toute façon, aussi sa réaction importait peu. Cependant, son attitude l'avait frappé. Pas de sanglots. Pas de jérémiades. Les femmes pleuraient toujours, pourtant. C'était leur recours ultime, et le plus efficace. Elles en usaient pour forcer l'amant à s'excuser, persuader le mari de les enlacer ou inciter papa à se montrer plus généreux.

Elle s'était contentée de crier. Et ses cris étaient… sublimes. Mais, finalement, les larmes lui avaient manqué.

 

Plus tard, sa besogne achevée, il se pencha sur elle. Le soleil n'était pas tout à fait levé, l'air du petit matin était doux, et il flottait dans l'atmosphère un léger parfum âcre d'huile de moteur. Maintenant qu'elle était muette, morte, immobile, il était incapable de se rappeler pourquoi il l'avait tuée. Pendant un bref instant, il s'interrogea sur l'étrangeté de ce détail, mais chassa aussitôt ses doutes. Ce n'était qu'une femme parmi tant d'autres. Plusieurs l'avaient précédée, et bien d'autres encore suivraient.

Il s'agenouilla près d'elle et sortit une petite lame affûtée, avant de faire courir ses mains sur son corps pendant quelques secondes.

Jetant son dévolu sur la hanche, il entreprit de l'entailler.




2.

L'homme en train de mourir s'appelait…

Oh… au fond, ça n'avait guère d'importance. Plus maintenant. Les noms étaient de simples étiquettes, des substantifs attribués à des personnes, des lieux, des objets, des idées… comme on le lui avait appris à l'école. Cet objet, dans lequel je bois, je l'appelle « verre ». Et après ? Ce morceau de tissu, là, qui couvre le haut de mon corps, je l'appelle « chemise ». La belle affaire. Et celui-ci, que j'ai ouvert sous un ciel d'encre et que ce beau clair de lune illumine de l'intérieur, je l'appelle « Jerome Herrington ». Et alors ?

Le tueur se redressa en s'étirant pour faire craquer ses vertèbres. Trimballer cette chose nommée Jerome Herrington sur cinq étages n'avait pas été une mince affaire ; il était fourbu. Heureusement pour lui, il n'aurait pas à la redescendre.

La tête de la chose pivota sur la gauche, puis sur la droite, les yeux écarquillés – il ne pouvait en être autrement : le meurtrier avait commencé en découpant les paupières. Toujours commencer par là. Primordial.

Le tueur se pencha vers le visage de la chose et lui murmura :

— Nous y sommes presque. Presque. Je t'ai ouvert le ventre et je dois bien l'admettre : tu es splendide, comme ça, dans la nuit. Vraiment magnifique…

La chose nommée Jerome Herrington ne répondit rien, ce que le meurtrier trouva impoli. Pourtant, il n'était pas furieux, car, s'il savait ce qu'était la colère, il ne l'avait jamais ressentie. Ce n'était qu'une perte de temps et d'énergie. Elle ne servait à rien. « Colère » était un mot qu'on attribuait à une émotion dépourvue de fonction.

En fin de compte, la chose nommée Jerome Herrington était peut-être incapable d'apprécier sa propre beauté. Le tueur réfléchit quelques instants avant de plonger la main dans la plaie béante de la chose et d'en extraire une masse sanguinolente d'intestins. Les anneaux, d'un rose grisâtre, luisaient sous la lune.

La chose exhala un profond râle d'agonie et releva la tête, comme si elle tentait une dernière échappée, alors qu'elle parvenait tout juste à redresser la nuque.

La chose pleurnichait. Des larmes ruisselèrent sur ses joues, et elle essaya de parler.

Le visage du meurtrier s'illumina, car la chose semblait heureuse. Et c'était fantastique.

— J'ai presque fini, promit le tueur, lâchant les boyaux au moment où la nuque de la chose cédait et que sa tête retombait.

Boum, fit la tête. Splatch, firent les entrailles.

Le tueur sortit un petit couteau tranchant de sa botte.

— Le front, je pense, dit-il avant de se mettre à l'œuvre.




3.

Billy Dent s'observait dans la glace. Il avait du mal à se reconnaître, mais il n'en fut pas surpris. Depuis l'enfance, les miroirs lui renvoyaient presque toujours l'image d'un inconnu. Au début, il avait redouté et détesté cette figure étrangère qui le guettait, le suivait comme une ombre dans les glaces, les carreaux des fenêtres et les vitrines des magasins. Pourtant, Billy avait fini par comprendre que ce reflet, c'était ce que les autres percevaient de lui.

De l'extérieur, les gens ne voyaient pas le véritable Billy, mais simplement l'un de leurs semblables. Un individu à l'apparence humaine, mortelle. Quelqu'un qui avait la tête d'un client.

Dehors s'élevait le grincement mécanique d'un compacteur de déchets. Billy écarta les rideaux et jeta un œil à l'extérieur. Trois étages plus bas, la benne à ordures d'un camion broyait ferraille et verre.

Un large sourire se dessina sur son visage.

— Ah, New York…, murmura-t-il. Toi et moi, on va bien s'amuser.




Deuxième partie

4 joueurs. 3 camps.




4.

Par une journée claire et froide de janvier, ils se réunirent pour enterrer la mère de Jazz.

« Enterrer » était sans doute un mot abusif puisqu'il n'y avait pas de corps. Jazz n'était encore qu'un enfant lorsque Janice Dent avait disparu, neuf ans plus tôt, et plus personne ne l'avait revue depuis. Sa mort n'était une nouvelle pour personne ; la justice avait d'ailleurs prononcé son décès après la période requise de sept ans. Mais Jazz n'avait tout simplement pas pu se résoudre à franchir l'étape suivante : les obsèques.

Fils unique du serial killer le plus célèbre de son temps, il avait grandi avec une connaissance intime des mécanismes et des causes de la mort. C'était cependant la toute première fois qu'il assistait à un enterrement.

Au fond, c'était un juste retour des choses, car beaucoup des victimes de son père avaient elles aussi eu droit à des funérailles sans dépouille, même si leurs cortèges funèbres avaient sans doute été plus fournis. Celui de Janice Dent, épouse de Billy, ne comptait qu'une petite dizaine de personnes. Heureusement, la presse avait été tenue à l'écart.

Personne ne pleurerait Janice Dent, ce jour-là. Ses propres parents étaient morts depuis longtemps, et elle n'avait ni frère ni sœur. À la connaissance de Jazz, il ne lui restait aucun ami à Lobo's Nod, du moins personne qui se soit manifesté à l'annonce des obsèques. Pour Jazz, cela semblait logique : elle avait disparu seule et serait inhumée seule.

Connie se tenait à ses côtés, serrant sa main dans la sienne. Il y avait aussi G. William Tanner, le shérif de Lobo's Nod, le seul homme à avoir réussi à arrêter Billy quatre ans auparavant. G. William était depuis devenu une sorte de figure paternelle pour Jazz. L'ironie de la chose aurait sûrement déclenché un éclat de rire chez Billy. Ça correspondait à son sens de l'humour.

— Seigneur Dieu, commença le prêtre, nous te confions l'âme de notre très chère sœur Janice. Voilà quelque temps, Seigneur, qu'elle nous a quittés, et nous savons que durant cette période tu auras veillé sur elle. Nous te demandons à présent de veiller aussi sur nous dans ce moment de deuil et de recueillement.

C'était étrange, mais Jazz aurait voulu en finir rapidement. Il aurait aimé que le prêtre remballe son attirail et les laisse partir. Depuis les crimes de l'Impressionniste, un admirateur de Billy Dent, et surtout depuis l'évasion de Billy, deux mois plus tôt, Jazz éprouvait le désir dévorant de se défaire de son passé au plus vite. Il devinait que l'avenir le rattraperait de manière brutale (Billy s'était jusque-là tenu tranquille, mais sans doute pas pour longtemps), c'est pourquoi il cherchait à tirer enfin un trait sur son enfance. Et le pas le plus significatif qu'il ait franchi était d'officialiser la mort de sa mère. Il se moquait de savoir selon quelle confession se déroulerait l'enterrement, et le père McKane, de la paroisse locale, s'était montré le plus disposé à célébrer la cérémonie. Jazz avait donc opté pour les catholiques. Mais maintenant que le prêtre se confondait en pieuses paroles, il se demandait s'il n'aurait pas dû choisir une religion moins bavarde. Il soupira en pressant la main de Connie, les yeux rivés droit devant lui sur le cercueil. Celui-ci contenait quelques peluches neuves, semblables à celles que sa mère lui avait offertes lorsqu'il était enfant, et un assortiment de gâteaux que Jazz avait lui-même préparés. C'était l'image la plus précise qu'il conservait d'elle : ses cupcakes glacés au citron. Il aurait pu se contenter d'une cérémonie et d'une pierre tombale, mais il avait souhaité vivre le cérémonial en entier, l'ensemble du rituel funéraire. Ensevelir le passé, faire table rase, voilà qu'il voulait.

Était-ce sentimental ? Sans doute. Et alors ? Il fallait tout ensevelir, les souvenirs comme les émotions, puis passer à autre chose.

Il savait que, derrière les grilles, un cordon de policiers et d'agents fédéraux entouraient le cimetière. Lorsque les autorités avaient appris que Jazz organisait des funérailles pour sa mère, ils avaient tenu à mettre le périmètre sous surveillance, dans l'attente (ou plutôt dans l'espoir) que Billy émerge enfin de l'ombre. Jazz leur avait assuré qu'ils perdaient leur temps, mais ses remarques étaient restées lettre morte.

Billy n'aurait jamais pris le risque de se montrer pour un événement aussi banal et prévisible qu'un enterrement. Il s'était parfois rendu à ceux de ses victimes, mais c'était avant que les médias ne diffusent son visage sur tous les écrans du monde. Le Boucher de Lobo's Nod était trop malin pour pointer le bout de son désormais célèbre nez, ici encore moins qu'ailleurs.

« Nous allons quand même tenter le coup », avait finalement tranché un agent du FBI, ce à quoi Jazz avait répondu, avec un haussement d'épaules : « Vous voulez jeter l'argent du contribuable par les fenêtres ? Ne vous gênez pas. Après tout, ça fait partie de vos prérogatives. »

Enfin, le prêtre acheva son homélie puis, tout en lançant un regard insistant à Jazz, proposa aux personnes présentes de dire quelques mots. Mais Jazz n'avait rien à dire, en tout cas pas en public. Il avait accepté la mort de sa mère depuis longtemps. Que restait-il à dire ?

À sa grande surprise, le père McKane acquiesça d'un signe de tête en désignant quelqu'un derrière lui. Aussi stupéfaits l'un que l'autre, Connie et Jazz se retournèrent sur Howie Gersten, le meilleur ami de Jazz, qui se faufila avec précaution devant G. William. En costume noir avec une cravate sombre, du haut de ses presque deux mètres, Howie figurait l'incarnation vivante d'une représentation du squelettique Baron Samedi, le dieu vaudou des morts. Sa veste, trop courte pour ses bras interminables, révélait une bonne portion des manches de sa chemise blanche et de ses poignets plus pâles encore.

— Je m'appelle Howie Gersten, annonça-t-il en se plaçant devant la tombe.

Jazz manqua d'éclater de rire. Toutes les personnes présentes savaient parfaitement qui il était.

— Je n'ai pas connu Mme Dent. Pourtant, lorsqu'on enterre quelqu'un, qu'on lui fait ses adieux, on se doit de prononcer quelques mots. Et c'est sans doute mon rôle, en tant que meilleur ami de son fils.

Howie se racla la gorge et, pour la première fois, regarda Jazz.

— Ne m'en veux pas, mec, chuchota-t-il dans un murmure exagéré.

Quelques rires nerveux parcoururent l'assistance. Connie secoua la tête.

— Quel clown…

— Bref, continua Howie, voilà ce que je voulais raconter : quand j'étais petit, les autres s'en prenaient souvent à moi. Quand vous êtes le gringalet de service et qu'en plus vous êtes hémophile, autant dire que vous accumulez les handicaps. J'aimerais pouvoir vous expliquer combien Mme Dent m'a soutenu et encouragé durant cette période. Mais, comme je vous l'ai dit, je ne la connaissais pas, et, à l'époque où j'ai rencontré Jazz, elle était déjà… enfin, elle n'était déjà plus là.

« Mais ce n'est pas là que je voulais en venir. En fait, il s'agit d'une évidence, mais quelqu'un doit le dire. Nous savons tous que le père de Jazz n'était… euh… pas vraiment un exemple pour son fils. Mais un jour, quand j'avais environ dix ans, des types me sont tombés dessus et se sont amusés à me coller une série de bleus sur les bras. Et Jazz est arrivé. Il était plus petit qu'eux, seul contre trois, et, soyons honnêtes, je n'allais pas lui être d'un grand secours…

Un autre éclat de rire se propagea.

— Jazz a foncé dans ce tas de connards… oh, pardon, mon père. Bref, il s'est jeté sur eux et leur a botté le c…, enfin, les fesses, ce qui n'est sans doute pas très chrétien, mais à ma place vous auriez trouvé ça génial. Voilà où je voulais en venir : même si je n'ai jamais rencontré Mme Dent, je suis convaincu que c'était quelqu'un de bien. Parce que je doute que Billy ait appris à son fils à défendre la veuve et l'hémophile. C'est ce que je souhaitais dire. Nous ne nous étions jamais rencontrés, mais vous me manquerez, madame Dent. J'aurais aimé vous connaître.

Il s'apprêtait à regagner sa place, mais reprit la parole.

— Et, euh, que Dieu vous bénisse et amen, etc., bredouilla-t-il avant de s'éclipser.

Le cercueil fut ensuite descendu dans la fosse. Sur la pierre tombale, on pouvait lire janice dent, mère bien-aimée. Il n'y avait pas de dates, car Jazz ignorait quand Billy l'avait tuée.

Il prit la petite pelle que lui tendit le prêtre et jeta quelques mottes de terre dans le trou. Le bois sonna creux.

G. William et Connie l'imitèrent. Puis ils se reculèrent pour laisser aux employés du cimetière le soin de pelleter à leur place.

Jazz réalisa qu'il fixait leurs bêches, refermant une tombe vide, lorsque Connie lui tapota l'épaule. Elle lui tendait un mouchoir.

— Pour quoi faire ? demanda-t-il en l'acceptant machinalement.

— Tes yeux, se contenta-t-elle de répondre.

À sa grande surprise, Jazz s'aperçut qu'il pleurait.




5.

Jazz rentra chez lui où sa grand-mère l'attendait sur la véranda, dans son rocking-chair, une couverture sur les jambes. De loin, on pouvait la prendre pour une simple vieille dame qui profite d'une belle journée hivernale.

— Ils sont là, chuchota-t-elle à son petit-fils alors qu'il gravissait les marches du perron. Ils sont venus chercher ton père.

Jazz n'était jamais certain de savoir qui elle entendait par « ton père ». Elle s'égarait parfois au point de le prendre pour Billy, auquel cas elle faisait allusion au grand-père de Jazz, mort depuis longtemps. À moins que, dans un éclair de lucidité, elle n'ait compris qu'« ils » – soit l'adjoint au shérif Michael Erickson, qui s'était proposé de la surveiller le temps de la cérémonie – s'attardaient ici dans l'espoir de capturer Billy. Ces jours-ci, Grandma suivait donc la même logique que le FBI, et Jazz se demandait s'il fallait en rire ou en pleurer.

Il aperçut Erickson qui les observait à travers la fenêtre. Grandma Dent haïssait sa belle-fille, alors pas question de la faire venir à son enterrement. Et même si Grandma avait adoré Janice, le choix entre inviter sa copine noire ou sa grand-mère raciste avait été vite fait.

— Ils ont envoyé des espions, affirma la vieille femme dans un murmure. À le voir, on croirait qu'il est seul, mais y peut se diviser en deux, en quatre, et ainsi d'suite… J'les connais, ces machins-là. C'était pendant la guerre. Un truc que les cocos ont appris aux démocrates pour qu'ils nous fauchent nos armes. J'aurais bien tenté de les arrêter, mais ils m'ont volé ma carabine.

Non, pensa Jazz. Ça, c'est moi. Le vieux fusil de chasse du grand-père, dont Jazz avait déjà bouché les deux canons et retiré les percuteurs, ne présentait plus aucun danger. Mais lorsqu'il s'absentait pour plusieurs heures, il préférait tout de même le cacher. Il était presque rassuré de découvrir que Grandma rejetait la faute sur les politiciens de Washington.

Depuis plusieurs années, Jazz subissait la déchéance progressive de sa grand-mère, et peu de ses délires parvenaient encore à le surprendre.

— Donc, résuma-t-il, il y a chez nous un espion communiste qui cherche papa, c'est ça ?

Voilà une phrase que je n'aurais pas cru prononcer un jour.

— Ne t'en fais pas, reprit-il. Je vais le faire déguerpir. Quand j'en aurai fini avec lui, il n'osera plus jamais se pointer.

Jazz brandit comme un sabre de samouraï la petite pelle que lui avait remise le prêtre. Grandma ouvrit de grands yeux en battant des mains.

— C'est ça ! Chope-le et saigne-le comme ce raton laveur que t'avais vidé, cette année-là, pour le 4 juillet ! vociféra-t-elle avec des gestes rageurs.

Une fois à l'intérieur, Jazz demanda à Erickson si tout s'était bien passé. Le policier haussa les épaules.

— Elle a commencé à s'agiter il y a une demi-heure, alors j'ai préféré ne pas la contrarier. Puisque je pouvais garder l'œil sur elle d'ici, j'ai pensé qu'il valait mieux la laisser s'asseoir dehors.

— Vous avez bien fait. Au fait, elle vous prend pour une espèce de cyborg envoyé par les communistes.

— Ça explique tout, s'esclaffa Erickson.

— Dites, ça vous ennuierait de me rendre un immense service et de vous mettre à courir comme un dingue en sortant d'ici ?

— Tout ce que tu voudras !

Jazz se sentit un peu coupable. Erickson était un bon flic. Sa mutation à Lobo's Nod avait coïncidé avec le début des meurtres perpétrés par l'Impressionniste en hommage à Billy Dent. À sa grande honte, Jazz l'avait un temps soupçonné d'en être l'auteur et n'avait pas hésité à faire part de ses doutes au shérif. Il avait l'impression d'avoir une dette envers Erickson, mais le policier voyait les choses différemment. Pour lui, puisque Jazz avait réussi à identifier et à sauver la dernière victime de l'Impressionniste, il était un héros.

— Merci encore d'être resté.

— Fais attention à toi, Jasper.

Erickson ouvrit la porte, puis s'enfuit à toutes jambes sous un concert hilarant de cris stridents, comme si une horde de démons le pourchassait jusqu'à sa voiture.

Telle une souris, Grandma se faufila dans la maison en jetant des regards méfiants autour d'elle.

— Il a pas laissé de bébé araignée, au moins ? Tu sais, ces minitélécommandes qui se glissent par le trou de l'oreille pendant que tu dors et te débranchent le cerveau jusqu'à ce que t'aies complètement perdu la boule…

Ah… voilà donc ce qui était arrivé à Grandma… Jazz poussa un soupir. Son état empirait. Au fond, il en avait toujours eu conscience, mais il s'était convaincu pendant un temps que sa folie restait inoffensive et facile à contrôler. Un beau jour, il n'y avait pas si longtemps, une assistante sociale nommée Melissa Hoover était apparue, remuant ciel et terre pour forcer Jazz à quitter la maison familiale et le placer en foyer. Jazz avait fait tout son possible pour l'en dissuader. Puis, aussitôt après son évasion, Billy avait assassiné Melissa avant qu'elle ait pu remettre son dernier rapport, mettant fin au problème.

Du moins pour le moment.

Car tôt ou tard, l'administration affecterait une autre personne à son cas. Il lui restait six mois à tenir avant son dix-huitième anniversaire, et, d'ici là, ils pouvaient encore l'exiler. D'ailleurs, Jazz commençait à se demander si Melissa n'avait pas eu raison. Peut-être aurait-il gagné à s'éloigner de cet environnement. À s'éloigner de sa grand-mère, et même de Lobo's Nod. À s'éloigner de ses souvenirs d'enfance et de Billy.

Mais qui essayait-il de convaincre ? Billy était de nouveau dans la nature, et, tant qu'il serait en liberté, Jazz ne pourrait jamais s'affranchir de son passé. Son père trouverait – il n'en doutait pas – le moyen d'entrer en contact avec lui. Un jour ou l'autre, d'une manière ou d'une autre, quel que soit le nombre de flics à ses trousses, Billy réussirait.

Jazz installa Grandma dans le salon, devant la télé. La première chaîne sur laquelle il tomba fut celle des informations locales. Doug Weathers – chef de file des reporters fouille-merde – tenait le micro :

— … inhumer Janice Dent, épouse du tristement célèbre William Cornelius Dent, aussi connu sous les noms de l'Artiste, Green Jack, ou encore la Main de velours. La presse n'a pas été conviée, mais je peux d'ores et déjà vous révéler que la cérémonie fut brève et que peu de gens y ont assisté.

Jazz zappa sur une chaîne de téléachat. Grandma les trouvait désopilantes.

Dans la cuisine, il s'attela à nettoyer la vaisselle utilisée par Grandma durant son absence. C'était sans doute Erickson qui l'avait empilée avec soin dans l'évier, car sa grand-mère s'obstinait à la déposer dans le four. Tout en maniant l'éponge, Jazz jeta un regard par la fenêtre en direction du jardin.

Et de l'abreuvoir à oiseaux.

« Tu vois ce vieux bassin à oiseaux que Ma a dans son jardin ? lui avait demandé Billy, dans le parloir du centre pénitentiaire de Wammaket. Elle l'a orienté vers l'ouest, tu vois ? Il prend pas le soleil du matin et c'est ça qu'ils aiment, les oiseaux. Il faut le mettre à l'autre bout du jardin. »

« Et ça, s'était exclamé Jazz, incrédule, c'est le prix de ton aide ? »

Oui, ni plus ni moins. Aussi Jazz avait-il accédé à la requête de Billy. Encore aujourd'hui, plusieurs mois après les faits, il se demandait bien pourquoi.

Après tout, Billy n'aurait eu aucun moyen de l'y contraindre. Pourtant, Jazz avait tenu parole, poussé par une question d'honneur. Comme si, en refusant de décaler ce fichu bassin, il aurait démontré qu'il n'était qu'un sociopathe froid et insensible, exactement comme son père, et aurait ainsi scellé son destin. Il avait donc déplacé l'abreuvoir, ce fameux soir où Billy s'était échappé du pénitentier.

Peu après l'évasion et ses conséquences dramatiques, Jazz avait fini par tout dire à G. William et lui avouer qu'il avait accordé cette faveur à Billy.

— Je ne vois pas en quoi cela pourrait être lié, avait répondu le shérif. Mais je ne vois pas non plus comment ça pourrait ne pas l'être.

Le lendemain, sous les yeux horrifiés de Grandma, une équipe de policiers et d'experts du FBI avait investi le jardin en friche. Ils avaient creusé sous l'ancien emplacement du bassin, puis sous le nouveau. Armés d'une batterie d'instruments, ils avaient sondé le terrain sous toutes les coutures, cherchant à déterminer qui aurait pu bénéficier d'une vue dégagée sur l'objet.

C'est en examinant l'abreuvoir qu'enfin ils avaient établi le scénario qui avait anéanti Jazz.

La base de la fontaine était maintenue en place par quatre vis. Trois d'entre elles étaient vieilles et ternies, mais la quatrième brillait comme un sou neuf. Un démineur avait été appelé en renfort – au cas où –, et, une fois le socle enlevé et le mécanisme démonté, ils avaient découvert…

— Un émetteur GPS, lui avait annoncé G. William ce soir-là dans son bureau du commissariat. Un modèle assez perfectionné, qui plus est. Avec une précision à cinq mètres.

Genre:

  • * "[The game is] orchestrated so cunningly that rare indeed will be the reader who figures it out early...You can't deny Lyga's ambition to craft the most serious (and bloodiest) crime series yet for teen readers."—Booklist, starred review
  • "The main differentiator between this and adult thrillers is the age of the protagonists. As such, it's a riveting story for any reader capable of handling the violence, as Lyga juggles multiple points of view and elegant shocks and twists...The character arcs are as fascinating as the gruesome murders."—Publishers Weekly

On Sale
Jun 17, 2014
Page Count
544 pages
ISBN-13
9780316125857

Barry Lyga

About the Author

Barry Lyga is the author of several acclaimed young adult novels, including Bang, I Hunt Killers, its sequel Game, and his debut, The Astonishing Adventures of Fanboy and Goth Girl. He now knows way too much about how to dispose of a human body. Barry lives and writes in New York City. His website is barrylyga.com.

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