Promotion
Use code DAD23 for 20% off + Free shipping on $45+ Shop Now!
Story of a Girl
Contributors
By Sara Zarr
Formats and Prices
Price
$29.99Price
$38.99 CADFormat
Format:
- Hardcover $29.99 $38.99 CAD
- ebook $8.99 $11.99 CAD
- Trade Paperback (Media Tie-In) $10.99 $14.49 CAD
This item is a preorder. Your payment method will be charged immediately, and the product is expected to ship on or around January 10, 2007. This date is subject to change due to shipping delays beyond our control.
Also available from:
Excerpt
PREMIÈRE LEÇON
Abandonne-toi, ma petite fille, laisse
ta tête basculer dans le creux de ma main.
Doucement, et je te tiendrai. Déploie
largement les bras, laisse-toi porter par le courant
et contemple les mouettes là-haut.
D'un mort qui flotte
on ne voit pas le visage. Tu plongeras
et nageras bien assez tôt quand la marée
reflue loin du rivage. Ma petite, crois-moi,
si la longue traversée vers ton île
t'épuise, reste cachée, et survis.
Tu flottes à présent, moi t'ayant tenue
puis laissée partir. Quand la peur
t'entravera le cœur, rappelle-toi mes paroles :
étends-toi doucement vers les étoiles
lointaines, abandonne-toi, et la mer te protégera.
Philip Booth
J'avais treize ans quand mon père m'a surprise avec Tommy Webber à l'arrière de la Buick – la Buick de Tommy – garée près de l'ancien hôtel-restaurant Chart House de Montara, un mardi soir à 23 heures. Tommy avait dix-sept ans et était soi-disant l'ami de mon frère Darren.
Je ne l'aimais pas.
Je ne suis même pas sûre que je l'aimais bien.
Il faisait froid dans la voiture, Tommy était défoncé, on s'était retrouvés là à faire la même chose une dizaine de fois déjà, je sentais le parfum iodé qui venait de la plage, et dans ma tête j'écrivais l'histoire d'une fille qui dérivait sur l'océan vert glacial. Un jour, elle se mettait à pagayer dans la mauvaise direction et ne s'en rendait compte que lorsque, regardant en arrière, elle ne pouvait plus apercevoir le rivage.
Dans ma tête j'écrivais l'histoire, pendant que Tommy faisait son truc, une main refermée sur ma queue-de-cheval.
C'était la fille – la fille sur l'océan – que j'avais à l'esprit quand Tommy a lâché un juron et a décollé de moi. Mon père l'avait sorti de la voiture, il m'a sortie ensuite. Il a jeté Tommy au sol et m'a poussée dans notre vieille Tercel.
Juste avant qu'on s'arrache du parking, j'ai regardé mon père brièvement. C'étaient peut-être des larmes qui coulaient sur ses joues, ou bien c'était l'effet des phares diffractés par le brouillard de la nuit.
J'ai voulu dire quelque chose. Je ne me rappelle pas quoi.
— Tais-toi, a-t-il dit.
L'histoire remonte à presque trois ans.
Depuis, mon père ne m'a plus regardée dans les yeux ni ne m'a parlé, vraiment parlé.
1
C'était le dernier jour de l'année de seconde, on devait nettoyer nos casiers. Je retirai l'emploi du temps que j'avais scotché à l'intérieur de la porte en début de semestre et le balançai dans la poubelle qui contenait déjà quatre-vingt-quinze pour cent des conneries pour lesquelles je m'étais crevé le cul tout au long de l'année. À quoi servait ce prétendu savoir si en fin de compte ça finissait à la poubelle ? Le seul truc que je gardai, c'étaient mes disserts. Si on m'avait posé la question, j'aurais dit non, mais je pensais que j'aimerais en relire certaines un jour. Comme celle de quand on avait lu Sa Majesté des mouches. J'étais vraiment rentrée dans le bouquin, la sauvagerie et cette histoire de survie-des-plus-aptes. Beaucoup dans ma classe n'avaient rien compris. « Pourquoi les garçons sur l'île ne peuvent pas s'entendre ? » avait demandé Jeremy Walker. Puis Caitlin Spinelli, genre : « C'est vrai, ils ne savaient pas qu'ils avaient bien plus de chances de survie en s'unissant ? »
Coucou ! Promène-toi donc trois secondes dans les couloirs de notre propre bahut, Spinelli : nous sommes des sauvages. Il n'y a aucune volonté collective pour que ça s'arrange. Aucune solidarité des plus à l'aise avec les moins chanceux. On ne décide pas de se traîner ensemble les poids morts pour pouvoir atteindre tous ensemble la ligne d'arrivée. En tout cas pas pour moi. Caitlin Spinelli a peut-être un point de vue différent puisqu'elle possède tout ce qui l'aurait rangée dans la tribu des survivants.
Enfin bref, M. North avait commenté ma dissert au feutre violet. Il utilisait un stylo rouge pour corriger les fautes d'orthographe, de grammaire, les trucs comme ça, mais quand il voulait juste vous dire qu'il aimait bien quelque chose, il utilisait le violet.
Deanna, avait-il écrit, vous avez manifestement des choses importantes à dire.
Des choses importantes.
— Tiens, Lambert !
À propos de sauvages, Bruce Cowell et sa bande de pseudo-sportifs, qui s'étaient fait virer de toutes les équipes du lycée pour mauvaise attitude et/ou usage de substances illicites, se pointaient pour leur déconnade hebdomadaire.
Bruce s'appuya contre les casiers.
— T'as l'air chaude aujourd'hui, Lambert.
Tucker Bradford, un gros mou à la figure rouge, s'approcha pour ajouter :
— Ouais. Je crois que tes nichons ont grossi cette année.
Tout en continuant de vider mon casier – plus précisément, je décollais un bout de sucre d'orge, souvenir de Noël, d'un de mes classeurs –, je me dis que c'était le dernier jour de classe et qu'en plus ces types étaient en terminale. Si je survivais aux cinq prochaines minutes, je n'aurais plus jamais à les revoir.
Sauf que cinq minutes c'est long, et quelquefois je suis incapable de tenir ma langue.
— Peut-être, j'ai fait en désignant la poitrine de Tucker. Mais ils ne sont pas encore aussi gros que les tiens.
Bruce et sa clique, qui se tenaient à quelques pas, se sont mis à rire ; Tucker est devenu encore plus rouge, si tant est que ce soit possible. Il s'est penché, avec son haleine puante.
— Je me demande ce que tu as encore à sauver, Lambert.
J'explique : Pacifica est une petite ville abrutie avec un seul vrai lycée, où tout le monde connaît les histoires de tout le monde et où les rumeurs ne s'arrêtent jamais à moins qu'un autre ado soit assez taré pour faire un truc qui fera une meilleure histoire à colporter. Mais mon histoire à moi avait l'honneur de tenir la vedette depuis plus de deux ans. Il faut dire qu'un mec de terminale surpris le pantalon baissé sur une fille de quatrième, par le père de la fille (« Là, tu charries ! Son père ? À mourir de honte ! ») était assez difficile à concurrencer. L'histoire s'était répandue dans les couloirs, les vestiaires, les fêtes et le fond des salles de classe dès que Tommy avait débarqué au lycée le lendemain matin. Sur le coup, il s'était empressé de fournir tous les détails à ses copains, même s'il savait que mon frère Darren lui mettrait une raclée. (Ce qui fut le cas.) Le temps que j'intègre Terra Nova pour ma troisième, le lycée entier pensait avoir appris tout ce qu'il y avait à savoir sur Deanna Lambert. Chaque fois que quelqu'un voyait ma tête, je savais à quoi il pensait. Je le savais parce que, chaque fois que je me regardais dans la glace, j'y pensais moi aussi.
Alors quand Tucker me souffla dessus son haleine puante en disant ces mots, je compris que ça allait au-delà d'une insulte banale adaptée à n'importe quelle fille. Il ravalait ma vie entière à une saloperie en onze mots. Pour ça, il fallait que je l'envoie dans les cordes en grand. Je commençai par lui montrer mon majeur (on ne peut pas se tromper avec un classique), enchaînai avec quelques mots choisis à propos de sa mère, et conclus en insinuant qu'il n'était peut-être pas attiré par les filles.
Aussitôt après, je me demandai s'il y avait dans les parages un prof ou un autre adulte responsable au cas où Tucker, Bruce et leurs potes décideraient de se fâcher. J'aurais sans doute dû y réfléchir plus tôt.
Ce fut Bruce qui se chargea de répliquer.
— Pourquoi tu la ramènes, Lambert ? Pourquoi tu fais semblant d'être autre chose qu'une pétasse alors que t'es rien d'autre ? On le sait tous, poursuivit-il en se désignant avec ses copains. Toi aussi tu le sais. Et même ton père le sait, alors…
Une voix résonna à l'autre bout du couloir.
— Hé, les mecs, vous n'avez pas des chatons à aller torturer ou un truc dans le genre ?
Jason n'était jamais si bien tombé.
— Casse-toi, minable, lança Tucker par-dessus son épaule.
Jason continua à avancer vers nous, avec sa dégaine avachie habituelle, traînant les semelles de ses bottes noires sur le sol comme si ça lui demandait trop d'efforts de lever les pieds. Mon héros. Mon meilleur ami.
— Dites, vous avez bien eu votre bac hier ? dit-il aux gars. C'est pas un peu lamentable de zoner encore dans le coin ?
Bruce l'attrapa par sa veste en jean et le plaqua violemment contre les casiers. Où étaient donc les adultes ? Tous les profs s'étaient-ils envolés pour les Bahamas dès la dernière sonnerie ?
— Lâche-le, dis-je.
Un des copains de Tucker intervint :
— Allez, mec, on n'a pas le temps pour cette merde. On a promis à Max d'avoir la bière à 16 heures.
— Ouais, ajouta Tucker, mon frangin débauche de Fast Mart dans dix minutes. Si on arrive après, on nous demandera nos papiers.
Bruce lâcha Jason et m'assena un dernier regard, droit dans les yeux.
— Tu nous fais perdre notre temps, Lambert.
On les regarda s'éloigner dans le couloir et disparaître à l'angle. J'envoyai un coup de pied dans la poubelle et fixai le papier éparpillé.
— Ça va ? demanda Jason.
J'acquiesçai. Ça allait toujours pour moi.
— Il faut que je rende mon bouquin de français, là l'année de seconde sera officiellement terminée.
— Pas trop tôt. Et après ?
— Manger un morceau à Denny's, ça te dit ?
— Allons-y.
Après Denny's, on est allés à la boutique de CD où on a déconné, puis Jason m'a suivie pendant que je recensais les offres de boulot dans tous les magasins et commerces alimentaires de Beach Front – un centre commercial triste et à moitié désaffecté où quasiment personne ne vient plus faire ses courses depuis qu'un deuxième Target a ouvert à Colma. On ne parlait pas beaucoup. Je sentais encore l'haleine de Tucker tandis qu'il énonçait ce que probablement tout le monde pensait au lycée.
Ça nous va de ne pas parler, Jason et moi. C'est comme ça qu'on sait pouvoir se fier vraiment à quelqu'un, je crois ; quand on n'a pas à parler tout le temps pour s'assurer que la personne a encore de l'affection pour vous ou prouver qu'on a des choses intéressantes à dire. Je pourrais passer une journée entière avec lui sans prononcer un mot. Je pourrais aussi contempler son visage toute la journée. Sa mère est japonaise, et son père, mort juste après sa naissance, était blanc. Jay a des cheveux noirs incroyablement brillants, de longs cils, tout ça avec les yeux bleus de papa. (Pourquoi les garçons ont-ils toujours des cils à faire crever d'envie les filles ?) Franchement, je n'ai jamais compris pourquoi les nanas du coin ne se jetaient pas sur lui. Peut-être parce qu'il est plutôt taciturne, petit aussi, comme sa mère. Moi ça ne me gêne pas, on fait presque la même taille et on irait très bien ensemble s'il devait être question de ça.
Il est calme. Il est loyal. Il saisit tout. En fait, il n'y avait qu'un seul problème avec Jason, à ce moment-là : il était le petit ami de mon autre meilleure amie, Lee.
Contrairement à Jason, qui me connaît depuis toujours, Lee n'a acquis que récemment le statut de meilleure amie. Elle arrivait d'un lycée de San Francisco et elle était totalement cool. Pas cool du genre à s'habiller comme il faut et s'y connaître à fond en musique ou que sais-je, mais cool dans le sens où elle n'essaie pas d'être autre chose que ce qu'elle est. J'ai fait sa connaissance en cours de gym le jour où elle a fait un plat en retombant à côté du cheval d'arçons. Mme Winch serinait : « Allez faire quelques pas, Lee, puis recommencez. » Et moi genre, excusez-moi mais j'ai l'impression qu'elle ne respire plus, et si vous croyez que je vais moi aussi aller me tuer sur ce truc… On a toutes les deux écopé d'un zéro et d'un sermon de Mme Winch sur notre manque de « jugeote ».
Après ça, je me mis à observer Lee. Elle a un look un rien ringard, avec ses cheveux courts qui ne font jamais ce qu'il faut et ses fringues toujours limites. J'imaginais que le groupe des plutôt-ringards l'intégrerait vite fait – voyez ce que je veux dire, ceux qui font le club théâtre, le cercle des futurs étudiants, etc. – mais j'eus beau l'avoir à l'œil pendant un moment, elle ne copinait avec personne. Cette absence de lien impliquait probablement qu'elle ignorait encore ma réputation. Alors je me mis à lui parler et j'eus rapidement le sentiment qu'elle était différente de la plupart des autres filles qui se souciaient uniquement de leur apparence et passaient leur temps à débiner leurs soi-disant meilleures amies.
Une fois qu'on eut commencé à se fréquenter, elle me dit que son vrai père était un ivrogne et qu'elle ne savait pas où il était, moi je lui dis : « Pas de problème, mon père me hait. » Quand elle me demanda la raison, je lui racontai Tommy. Ça faisait du bien de pouvoir donner ma version au lieu de celle de Tommy, celle que tout le monde connaissait dans le lycée. Après, j'eus peur qu'elle n'ait plus aucune sympathie pour moi ou qu'elle se mette à se tenir bizarrement, mais elle se contenta de dire : « On a tous quelque chose qu'on aimerait pouvoir changer, hein ? »
Donc je suppose que c'est ma faute si Jason sort avec elle. Je n'arrêtais pas de parler d'elle, et Lee par-ci, et Lee par-là, et, Jay, il faudrait que tu la connaisses ; elle te plairait. Elle lui plut.
Ça m'était égal, sincèrement. Tout le monde sait que quand on commence à batifoler avec ses amis, on peut dire adieu à ce que cette amitié avait de meilleur. Je m'efforçais de penser que j'étais sortie gagnante de la donne, que si Lee et Jason rompaient, ils ne se verraient certainement plus, alors que moi je resterais la meilleure amie de Jason.
De temps en temps, pourtant, se produisait un fait minuscule, genre ils marchaient dans un couloir du lycée, main dans la main, et je les voyais mais eux ne me voyaient pas, et d'abord je pensais : « La vache, ce qu'ils sont mignons ensemble ! » puis aussitôt j'avais l'impression d'assister à quelque chose de terriblement intime, quelque chose qu'il ne partageait qu'avec elle. Alors que j'avais toujours cru être la personne qui connaissait le mieux Jason, quand ils commencèrent à sortir ensemble ce fut comme si Lee était devenue une sorte d'initiée et que moi je ne l'étais pas.
Nous avions encore nos tête-à-tête, Jason et moi, comme ce dernier jour de classe, rien que nous deux et, même si ça peut paraître un peu perfide, dans ces moments-là je faisais comme si Lee n'existait pas.
Jusqu'à ce qu'il se mette à parler d'elle.
— … J'ai reçu un texto de Lee tout à l'heure…
Notre bus descendait Crespi Drive et abordait le lotissement où on habitait tous les deux.
— … Ils étaient sur la plage à San Luis Obispo.
Lee et sa famille étaient partis pour Santa Barbara afin d'aller chercher son frère à l'université.
— Elle rentre quand ?
— Dans la soirée. Son beau-père doit retourner travailler.
— Ah, d'accord.
Le bus s'arrêta poussivement à mon arrêt, l'arrêt auquel j'étais descendue toute ma vie, à cinquante mètres de chez moi, devant une baraque gris-moisi avec cinq voitures garées sur la pelouse – parquées là depuis la nuit des temps, au moins.
— Appelle-moi demain, dit Jason.
— D'ac.
C'était chaque fois le pire moment de la journée, quand le bus freinait à mon arrêt et que je devais quitter Jason, lui continuant, continuant son chemin vers quelque chose tandis que j'atteignais l'impasse quotidienne censée être mon foyer.
Avant d'entrer, je me plantai devant la porte pour mon comptage rituel jusqu'à dix. Un, deux… fais pas gaffe à la porte du garage de guingois… trois, quatre, cinq… oublie les tessons du pot de fleur cassé qui sont restés en tas sur la pelouse depuis l'été dernier… six, sept… ça baigne, tout le monde laisse ses guirlandes de Noël allumées à longueur d'année… huit… un endroit sympa, la véranda, pour stocker une collection de boîtes en carton détrempées… neuf… oh, laisse tomber, tourne la poignée et entre.
Dix comprend tout le reste : l'odeur de moisi qui ne se dissipe jamais, les cinq pas sur la moquette verte pour aller du séjour à la cuisine, les murs rose bonbon de la cuisine et, pour finir, mes parents.
— Tu rentres tard.
Mon père, trapu et renfermé, une île sur une chaise de cuisine, ne leva pas les yeux de son assiette en disant ça.
— Tu ferais bien de te mettre à tes devoirs.
— C'était le dernier jour de classe, p'pa.
Sa fourchette s'immobilisa une seconde, puis il se remit à manger.
— Je sais. Je veux juste dire… j'espère que tu as l'intention d'éviter les ennuis cet été.
À croire que j'avais cumulé les problèmes jusque-là, ce qui n'était pas le cas, pas depuis longtemps.
— Tu as entendu ce que je viens de dire ?
— Ouais.
Maman fit carillonner sa voix joyeuse comme chaque fois qu'elle juge urgent de changer de sujet :
— Si tu t'asseyais pour dîner avec nous ?
— J'ai mangé.
— Du dessert, alors ? enchaîna-t-elle en ajoutant de la nourriture dans l'assiette de mon père, ses cheveux teints frisottés lui tombant devant le visage. Que dirais-tu d'un peu de glace ?
Voici les phrases préférées de maman :
1. Ton père n'est pas très démonstratif, c'est tout. (Variante : Ce n'est pas parce qu'il ne le dit pas qu'il ne t'aime pas.)
2. Il faut tourner la page ; sois une gentille fille et tout ira bien.
3. Que dirais-tu d'un peu de glace ?
— Darren est déjà rentré de son boulot ? demandai-je.
— Stacy vient de partir travailler et déposer la voiture, répondit maman. Ou reprendre la voiture. Je n'arrive jamais à me rappeler comment ils s'arrangent.
Darren vivait encore à la maison, ce qui au départ n'était pas prévu – ni de son côté ni côté parents. Quand sa copine Stacy s'était retrouvée enceinte et avait décidé de garder l'enfant, leur seule possibilité avait été de s'installer au sous-sol et de renoncer à tout ce qui aurait pu ressembler à un projet.
Lui et Stacy travaillaient tous les deux au supermarché Safeway – Darren le jour, Stacy le soir – pour qu'April soit toujours avec l'un de ses parents. Ce qui était un bon système, je suppose, à part qu'ils ne se voyaient jamais, sauf pour se passer les clés de leur voiture.
— Stacy est partie d'ici en retard, comme d'habitude, dit mon père. Elle a de la chance de ne pas se faire virer.
— Elle a été désignée deux fois employée du mois, lui rappelai-je alors que maman me tendait un bol de crème glacée caramel-praline que je ne lui avais pas demandé.
Papa agita sa serviette de table.
— Ce n'est pas une raison.
Il avait pour Stacy à peu près autant d'affection que pour moi.
— Oh, je ne sais pas, tempéra maman. Ils doivent se montrer un peu coulants dans la mesure où c'est une toute jeune maman et…
Je posai mon bol de glace et les laissai discuter de la carrière de Stacy pour partir à la recherche de la seule personne de la maison à qui j'avais vraiment envie de parler.
Elle était dans son siège-auto sur le lit de mes parents, toute paisible après sa sieste de l'après-midi.
— Salut, April, dis-je en l'enlevant dans mes bras.
J'embrassai son petit minois pendant un moment puis l'emmenai dans ma chambre : mon territoire privé de trois mètres sur quatre, avec mes vêtements en tas, mes CD et ma dinde de Thanksgiving en macaronis confectionnée au CE2 toujours accrochée au-dessus de mon lit. J'étalai une couverture sur la moquette, couchai April sur le ventre et m'assis à côté d'elle.
J'étais là quand April est née. Je n'y tenais pas particulièrement. D'après ce que j'avais vu en cours d'hygiène, dans des films et dans Urgences, avec tous les hurlements, l'effort, le sang, la sueur, les trucs visqueux, j'aurais préféré attendre pour voir le bébé qu'on l'ait nettoyé, essuyé, nourri et, plus important, qu'il soit endormi. C'était Darren qui avait voulu que je sois dans la salle d'accouchement. Parce que, disait-il, Stacy était triste que sa mère ait refusé de venir et souhaitait la présence d'une autre fille.
Mais je savais que Darren était inquiet ; il ne voulait pas se retrouver seul si ça se compliquait.
Ça se passa sans problème. Je ne vis pas réellement sortir April, heureusement. Je me tenais près de la tête de Stacy et restais concentrée sur elle, essayant d'ignorer les bruits et les odeurs. Quand Darren dit : « Putain de merde, elle est là », je levai les yeux et vis April entre ses mains, qui tremblait des pieds à la tête et braillait tout ce qu'elle pouvait. C'était stupéfiant, sincèrement.
Il me fallut un moment pour m'habituer à elle. Elle ne faisait que pleurer, crotter, dormir et, pour être franche, elle était assez moche. Sans compter qu'il y avait un paquet de règles sur la façon de la tenir et de la nourrir ; j'étais trop stressée pour l'apprécier. Puis elle devint moins moche, émit des sons plus intéressants, ne fut plus si fragile. Et tout changea quand elle commença à reconnaître ma voix. Sa manière de faire silence et de tourner la tête vers moi quand je lui parlais me donnait le sentiment que, finalement, je n'étais peut-être pas une nullité totale.
Quand j'étais avec Darren, Stacy et April, je nous voyais continuer comme ça pour toujours. J'imaginais mon retour du lycée dans la maison où nous habiterions tous ensemble – pas chez mes parents, évidemment –, et April se réveillerait d'un petit somme, peut-être, et Stacy dirait : « Salut, Deanna, tu arrives pile. J'ai besoin de souffler un peu et tu sais si tellement t'y prendre avec April… Tu veux bien la surveiller pendant que je vais chercher Darren au boulot ? » Moi je répondrais : « Bien sûr, pas de problème, prends ton temps. » Et je jouerais avec April, peut-être, à un jeu genre éducatif pour qu'elle devienne intelligente, après quoi Darren et Stacy rentreraient puis on dînerait puis je ferais mon travail scolaire pendant qu'ils regarderaient la télé. Je savais que ce ne serait pas parfait comme ça tout le temps, mais ce serait notre chez-nous.
Mon plan était le suivant :
Genre:
- On Sale
- Jan 10, 2007
- Page Count
- 208 pages
- Publisher
- Little, Brown Books for Young Readers
- ISBN-13
- 9780316014533
Newsletter Signup
By clicking ‘Sign Up,’ I acknowledge that I have read and agree to Hachette Book Group’s Privacy Policy and Terms of Use